A
chaque film, Lars Von Trier ne cesse de surprendre le spectateur par ses
choix de mise en scène, ses projets bizarres, qui bousculent avec
talent et originalité les bonnes vieilles habitudes du cinéma.
Après Dancer in the Dark,
le revoilà lancé dans une nouvelle peinture minimaliste
de l'Amérique.
Une fois encore, sa mise en scène s'applique à mettre en
question les
formes cinématographiques, le rôle de la caméra, la
place des acteurs. Les décors, ramenés à leur plus
simple expression (de simples traits à la craie représentent
les différentes habitations) viennent ici questionner la fonction
d'illusion et le pouvoir évocateur d'un film. Flirtant avec le
théâtre sans jamais vraiment y toucher, Lars Von Trier multiplie
les points de vue, sa caméra traverse les murs, nous fait voir
ce que l'on ne devrait pas voir, et pulvérise l'intimité
des personnages. Grâce à la multiplication des points de
vue rendue possible par la présence de nombreuses caméras,
nous devenons des spectateurs quasi omniscients, mais ressentons aussi
l'impression d'étouffement d'une petite communauté où
rien n'échappe à personne.
La dissection des relations sociales de la petite ville de XXX est d'une
grande intelligence. La petite communauté pourrait bien être
une représentation en miniature de l'Amérique, mais aussi
de nos sociétés démocratiques modernes. Derrière
l'hospitalité, sous les apparences du monde civilisé, la
barbarie dort, et Lars Von Trier lui fait lentement refaire surface tout
au long des trois heures que dure le film*. La remise
en question des villageois au début du film n'est qu'une façade,
une manipulation orchestrée par l'intellectuel du village. Ce personnage
ambigu rappelle ces réformistes américains du début
du 20ème siècle qui entendaient éduquer l'Amérique
et dont les réformes radicales (la prohibition) engendreront des
maux encore plus graves que le remède.
Lars Von Trier mène son attaque en règle de l'Amérique
avec une froideur et une mise à distance ironique constante qui
trouvent leur expression dans par la voix-off de John Hurt. Le réalisateur
choisit une fois de plus une actrice hors du commun comme véhicule
de son analyse (l'autre avantage des décors minimalistes, est qu'ils
mettent en valeur l'interprétation formidable de Nicole Kidman
et ses partenaires - Ben Gazzara est aussi génial). La psychologie
du personnage principal rappelle les héroïnes de Breaking
the Waves et de Dancer in the Dark. Elles partagent toutes
les trois le même mystère, le même entêtement
dans la générosité, et la même radicalité
dans la conduite.
Et la morale dans tout cela ? Von Trier s'en joue, la met à distance
: la fin, très étrange et déstabilisante, manipule
le spectateur suspendu au choix final de l'héroïne, dotée
soudain d'un pouvoir monstrueux. Faisant imploser la société
qui, finalement, a provoqué sa propre perte, elle se transforme
en un ange de la vengeance glacial, comme si elle vengeait en même
temps les héroïnes précédentes. Restez jusqu'à
la fin du générique, qui fait partie intégrante du
film, et prolonge très subtilement la réflexion sur le message
de ce film remarquable... et radical.
Laurent
G., vu en 2003
*Trop
longues ces trois heures ? J'ai eu parfois du mal à rester concentré
et absorbé par le destin tragique de l'héroïne. Mais
aller au cinéma est une expérience très subjective...
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