Dogville
2003
Danemark
Production : Zentropa, Filmek, Arte Cinema
Réalisation : Lars Von Trier
Scénario : Lars Von Trier
Montage : Molly Malene Stensgaard
Photo : Abthony Dod Mantle
Décors : Peter Grant
Son : Per Streit
Costumes: Manon Rasmussen
Durée : 178 mn
Avec : James Caan (l'homme dans la voiture), Nicole Kidman (Grace), Chloë Sevigny (Liz Henson), John Hurt (narrateur), Stellan Skarsgard (Chuck), Lauren Bacall (Ma Ginger), Paul Bettany (Tom Edison Jr. )

A chaque film, Lars Von Trier ne cesse de surprendre le spectateur par ses choix de mise en scène, ses projets bizarres, qui bousculent avec talent et originalité les bonnes vieilles habitudes du cinéma. Après Dancer in the Dark, le revoilà lancé dans une nouvelle peinture minimaliste de l'Amérique.
Une fois encore, sa mise en scène s'applique à mettre en question les
formes cinématographiques, le rôle de la caméra, la place des acteurs. Les décors, ramenés à leur plus simple expression (de simples traits à la craie représentent les différentes habitations) viennent ici questionner la fonction d'illusion et le pouvoir évocateur d'un film. Flirtant avec le théâtre sans jamais vraiment y toucher, Lars Von Trier multiplie les points de vue, sa caméra traverse les murs, nous fait voir ce que l'on ne devrait pas voir, et pulvérise l'intimité des personnages. Grâce à la multiplication des points de vue rendue possible par la présence de nombreuses caméras, nous devenons des spectateurs quasi omniscients, mais ressentons aussi l'impression d'étouffement d'une petite communauté où rien n'échappe à personne.
La dissection des relations sociales de la petite ville de XXX est d'une grande intelligence. La petite communauté pourrait bien être une représentation en miniature de l'Amérique, mais aussi de nos sociétés démocratiques modernes. Derrière l'hospitalité, sous les apparences du monde civilisé, la barbarie dort, et Lars Von Trier lui fait lentement refaire surface tout au long des trois heures que dure le film*. La remise en question des villageois au début du film n'est qu'une façade, une manipulation orchestrée par l'intellectuel du village. Ce personnage ambigu rappelle ces réformistes américains du début du 20ème siècle qui entendaient éduquer l'Amérique et dont les réformes radicales (la prohibition) engendreront des maux encore plus graves que le remède.
Lars Von Trier mène son attaque en règle de l'Amérique avec une froideur et une mise à distance ironique constante qui trouvent leur expression dans par la voix-off de John Hurt. Le réalisateur choisit une fois de plus une actrice hors du commun comme véhicule de son analyse (l'autre avantage des décors minimalistes, est qu'ils mettent en valeur l'interprétation formidable de Nicole Kidman et ses partenaires - Ben Gazzara est aussi génial). La psychologie du personnage principal rappelle les héroïnes de Breaking the Waves et de Dancer in the Dark. Elles partagent toutes les trois le même mystère, le même entêtement dans la générosité, et la même radicalité dans la conduite.
Et la morale dans tout cela ? Von Trier s'en joue, la met à distance : la fin, très étrange et déstabilisante, manipule le spectateur suspendu au choix final de l'héroïne, dotée soudain d'un pouvoir monstrueux. Faisant imploser la société qui, finalement, a provoqué sa propre perte, elle se transforme en un ange de la vengeance glacial, comme si elle vengeait en même temps les héroïnes précédentes. Restez jusqu'à la fin du générique, qui fait partie intégrante du film, et prolonge très subtilement la réflexion sur le message de ce film remarquable... et ra
dical.

Laurent G., vu en 2003

*Trop longues ces trois heures ? J'ai eu parfois du mal à rester concentré et absorbé par le destin tragique de l'héroïne. Mais aller au cinéma est une expérience très subjective...

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