Etude du monde sonore du film ,
pistes d’interprétations.
I LES MUSIQUES "IN"
: Lieux de passage entre l’enfance et l’âge adulte
a. le chant de
la jeune fille :
Il est "a capella"
c’est à dire sans aucun accompagnement instrumental, ceci permet
de renforcer, sur le plan auditif, la solitude de la jeune fille, réelle
exclue de la vie sociale.
Il s’agit d’une mélopée qui est entendue 3 fois.
Lors de ses 2 premières apparitions, nous entendions seulement
la mélodie de la Princesse et nous étions plongés
dans le rêve : Omar ne voyait jamais la jeune fille, il l’entendait
seulement chanter
C’est seulement à la dernière audition que la source sonore
est visible (dès que nous voyons Yasmina chanter, elle acquiert
réalité sociale, elle est nommée, elle s’appelle
Yasmina, et perd son nom poétique de Princesse.
Ce passage vocal est relié à la logique du film : Omar
quitte le monde de son enfance et de ses rêves, mais il ne le sait
pas encore.
Nous apprendrons que Yasmina est enfermée, la réalité
devient amère à ce moment précis où la musique
devient complètement "in", cependant, le frère
d’Omar, en racontant une partie de l’histoire se rapproche de son jeune
frère et lui rappelle ses origines. Dès que la source sonore
a été identifiée, plus personne ne reverra la "Princesse",
le rêve s’achève et la jeune fille disparaît de la
vie des deux enfants.
On peut relire cet
épisode sur un autre plan, celui d’un drame qui est seulement
suggéré :
- l’attitude compulsive de Yasmina qui passe son temps
à se laver n’est pas anodine, elle est en rapport direct à
l’idée d’un corps souillé qu’il faut sans cesse nettoyer.
A nous de comprendre.
-lorsque nous apprenons
que son père la cloître nous savons en même temps que
la communauté du bidonville est consentante puisque même
le jeune Fahrid le sait. Il apparaît que la culture d’origine a
été préservée par la communauté.
-Nous savons aussi que cette jeune fille devrait être déjà
mariée, la référence à une culture dans laquelle
le mariage d’une fille est décidé par le père est
donnée dans le film (altercation entre Zora et son père,
intervention de la fratrie masculine au sujet du maquillage)
La musique nous
renseigne sur un autre plan :
la musique vocale
est entièrement et directement reliée au corps : un
instrumentiste a toujours la possibilité de se réfugier
derrière son instrument (c’est un outil capable de produire des
sons).
Si l’instrument a été mal fabriqué, les sons seront
moins bons, quoique fasse l’instrumentiste. Le chanteur fait de la musique
avec son propre corps.
Il y a dans ce film un processus inexorable :
dès que cette voix découvre sa réalité, sa
corporéité, sa nudité, l’enfance d’Omar, le rêve
de son frère s’achèvent, le bidonville commence aussi à
perdre ce qui lui restait de culture originelle avant de disparaître.
Cette musique " in "
est l’un des éléments qui nous permet d’accéder à
de nombreuses interrogations concernant le vécu de cette communauté
qui a essayé de reproduire l’organisation sociale qu’elle avait
dans son territoire d’origine. Cette organisation disparaît avec
l’éparpillement des habitants.
b.
Musique instrumentale : cérémonie
de la circoncision
Il s’agit d’une étape importante
pour Omar puisqu’il va passer de l’enfance à l’ âge adulte.
Ce passage fait partie de la réalité sociale. La musique
"in" est souvent une musique qui apporte une touche de réalisme
supplémentaire.
Il y a beaucoup à dire sur l’intervention
de ce groupe instrumental. D’une part il s’agit d’un groupe (collectif)
de musiciens et non pas d’une voix seule (à connotation sensuelle)
Pour cette intervention des musiciens, il y a relation
entre l’auditif et le visuel : opposition des couleurs, ces instrumentistes
sont tous habillés de la même façon, couleurs vives
alors que le réalisateur nous a habitués à la couleur
"boue" du bidonville. Cette couleur "marron" illumine
d’ailleurs la scène de Yasmina chantant dans sa baignoire.
Ici, la musique est gaie, enlevée, le matériau
sonore utilisé est simple : percussions + un instrument proche
du hautbois.
Sans ambiguïté aucune sur le plan auditif,
nous vivons une fête traditionnelle, mais il y a une touche artificielle
sur le plan visuel : les habitants du Chaâba sont soucieux
de conserver à la fois leur dignité et leur culture :
les enfants sont plus propres que d’habitude, les femmes et les musiciens
sont dans des couleurs chatoyantes mais, grand contraste, les pères
des enfants sont habillés à la mode occidentale, opposition
avec la musique qui est résolument enracinée dans la culture
d’origine. Curieux mélanges qui se superposent.
Le visuel et l’auditif s’opposent : nous sommes
confrontés à l’ambiguïté de leur situation.
II LES MUSIQUES " OFF "
On peut les classer en 2 groupes auxquels
il convient d’en ajouter un 3ème qui sert de passerelle.
Les musiques extra-européennes
Elles foisonnent. Le rôle des percussions
ainsi que l’utilisation de certains instruments sont caractéristiques.
La flûte solo n’est pas la flûte d’orchestre symphonique,
son timbre nous est étranger, il est ostensiblement celui d’un
pays du Maghreb.
Les musiques de génériques (début
et fin de films) sont importantes, ici elles sont résolument des
musiques populaires et dominées par la rythmique, elles ponctuent
régulièrement le film.
Les musiques européennes
Elles n’interviennent pas souvent mais
il y a de quoi méditer sur leurs brèves apparitions.
Un thème dramatique (joué dans
le registre grave accentué par une rythmique lourde)apparaît
2 fois. Il accompagne les 2 scènes où les enfants attaquent
les prostituées.
Dans le premier cas, la musique se développe
longuement et s’achève par le long cri d’un enfant dont on voit
le visage en gros plan.
Dans le deuxième cas, le thème musical
est le même mais beaucoup plus court. Parmi les enfants, certains
ont désormais des affinités avec ce monde de la prostitution
qui était, à l’origine, aux antipodes de leur éducation,
la scène de l’attaque est également moins longue et il faut
établir un rapport : ils ne sont plus en opposition avec cette
intrusion négative de la société occidentale dans
leur monde, il l’ont " intégrée ". Ils
font des affaires et cessent d’attaquer les prostituées, ils deviennent
leurs " protecteurs " (contre rémunération).
On peut penser que la musique européenne
est, sans équivoque, associée à un comportement de
la femme qui est réprouvé par la communauté, cette
scène est à mettre en relation celle du rouge à lèvres
(entre Zora et son frère) mais aussi avec la situation d’enferment
de Yasmina.
Le mélange des deux musiques
Un exemple évocateur : la
scène de l’incendie.
La musique, dramatique, est de style classique
( je préfère dire musique académique) mais une couche
sonore se superpose, volontairement empruntée au style des percussions
maghrebines dont le rôle a déjà été
souligné.
Un rappel :
Ces percussions ont été le premier
élément musical du film : longue introduction avant
que ne commence la musique instrumentale : scène d’Omar sur
le perron de sa cabane avant son départ pour l’école.
BB
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