LA
REGLE DU JEU Jean RENOIR |
1939,
France (copie restaurée) André
Jurieux vient de réussir un exploit aéronautique et il est
accueilli triomphalement au Bourget par toute la presse et les autorités
politiques. Il a accompli cet exploit pour l'amour d'une femme, Christine,
qui n'est même pas là. Il se plaint d'elle au micro d'un
journaliste venu le questionner sur son exploit. Octave, l'ami de tous
les instants, s'occupe à la fois de la détresse de Jurieux
et des questions des journalistes. La conclusion appartient au marquis: c'était un accident.
Bonjour à toutes et tous, cinéphiles et mélomanes Vous n'êtes peut-être pas spécialistes de notre " jargon" de musiciens et l'analyse du monde sonore de ce film de Renoir "la Règle du Jeu" a besoin de quelques explications, elle est donc précédée de ce petit glossaire. Pianola
: Limonaire
: Pour ce qui concerne les autres termes techniques, la rubrique le monde sonore au cinéma a pour fonction de vous éclairer. ANALYSE DU TRAITEMENT MUSICAL DE CE FILM: Mon interprétation est la suivante : DANS CE FILM LE SON EST SYMBOLIQUE ET IL EST OUTIL DE VERITE, VERITABLE CLE POUR COMPRENDRE , MAIS D'UNE AUTRE MANIERE.
Elle n'est présente que pendant le générique de début et c'est une volonté de J.Renoir alors que, dans le film, la musique (toutes "in") est extrêmement présente, elle est même au cœur du film (la fabuleuse scène dans laquelle Octave fait revivre la direction d'orchestre du père de Christine) La musique de générique de début est une" allemande" de Mozart, ( une " allemande" est une danse) c'est par conséquent une musique de divertissement. Renoir n'a pas choisi une musique de Mozart particulièrement réussie: elle est peu expressive, elle est loin d'être une grande oeuvre et c'est un choix de la part du réalisateur. Il a cependant choisi une musique de Mozart et ce choix mérite une explication. Mozart est probablement le représentant le plus notoire de l'Autriche musicale, la suprématie de Vienne sur l'Europe en matière artistique et intellectuelle a été évidente jusqu'à son effondrement après la 1 ère guerre mondiale. Le choix de cette musique n'est donc pas anodin : d'une part il s'agit d'une œuvre tout à fait mineure du grand Mozart, d'autre part, il s'agit quand même d'un rappel de l'Autriche (Christine est autrichienne). Renoir connaît la situation politique ( nous sommes en 1938 /39 Ce choix de musique mozartienne présente un autre degré d'intérêt : nous sommes dans la nostalgie d'un monde qui s'épuise et le divertissement mozartien proposé en générique est volontairement sans grande envergure musicale, nous sommes dans le jeu, et Renoir va décrire ses règles de fonctionnement. La musique du générique de début contient donc intrinsèquement la signification du titre du film
Elles sont très nombreuses et c'est le seul statut que Renoir accepte d'accorder à la musique de cinéma: il ne veut pas que la musique remplace le jeu ou l'expression des acteurs, ceux ci doivent se suffire à eux-mêmes ; La position de Renoir sur le sujet est stricte et parfaitement connue : la musique doit uniquement découler de l'action. Il y avait, par exemple, possibilité d'utiliser de la musique off pendant la partie de chasse: la seule musique l'on entende est une musique "in" d'un invité qui s'époumone dans un cor de chasse dont il ne sait pas jouer.
Les déclarations de Jurieux à la radio sont une intrusion du monde extérieur dans ce monde intimiste et en vase clos de l'appartement parisien de Christine et La Chesnay: Jurieux, sur le plan sonore ne respecte pas les règles d'un jeu qu'il ne connaît pas: il n'est pas un homme du passé, son exploit montre au contraire qu'il est un homme de l'avenir. Celui qui ne connaît pas les "règles du jeu" est celui qui sortira du jeu
Une grande part est réservée aux musiques mécaniques des automates du marquis de La Chesnay. Les personnages des boîtes à musique tournent en rond dans leur univers, mais les personnages du film sont à leur image ( maîtres et valets confondus) "La règle du jeu" est un monde dans lequel tout est factice, un monde dans lequel celui qui a du cœur (Jurieu) n'a pas de place et doit être supprimé. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles nous devons sans cesse entendre ces musiques grinçantes d'automates qui tournent en rond dans leur univers et leur partition préétablie, comme les personnages réels dans le leur. Seuls Schumacher et Jurieu semblent avoir des sentiments véritables : l'un sera l'assassin, l'autre la victime mais tous deux ne sont que des jouets du reste de l'assemblée. La Chesnay nous fait donc sans cesse entendre ces musiques sorties de petites boîtes, certaines imitant des chants d'oiseaux, d'autres des musiques préexistantes, mais il y a toujours une déformation par rapport aux sons d'une réalité qui serait plus harmonieuse. Renoir semble essayer, à travers son paysage sonore, de nous faire entrer dans un monde grinçant. Les exemples ne manquent pas: Lorsque Marceau tente de séduire Lisette, il met en marche une poupée à musique, Pendant la fête masquée, la pianiste réelle cède la place au pianola mécanique qui jouera tout seul "la Danse Macabre" de Saint Saëns* (dans laquelle il est impossible de ne pas voir la guerre qui s'annonce). Nous voyons l'être humain qu'est la pianiste : elle regarde les touches du piano s'activer comme si elles étaient actionnées par des doigts fantômes, mais c'est finalement elle qui est dépossédée de l'instrument, au profit du jeu de la mécanique. *Renoir rend peut-être hommage à Saint Saëns qui a été le premier compositeur qui a accepté d'écrire pour le cinéma
Le mime remplace la véritable musique Octave mime le père de Christine, le chef d'orchestre. Il dirige un orchestre absent: nous avons l'image, nous avons des paroles, des bruits, mais nous n'avons jamais le son réel de l'orchestre : il y a ici absence délibérée de véritable musique : elle est seulement racontée. Renoir a choisi de passer sous silence la réalité musicale alors qu'elle a un rôle particulièrement important puisque : c'est par elle qu'il choisit de nous parler de l'image du père ( n'oublions pas le rapport avec le grand peintre Auguste Renoir qui fut le père du cinéaste, le hasard n'intervient certainement pas dans le nom" Octave" qu'il a donné au personnage qu'il interprète lui -même: Octave et Auguste sont liés par rappel de l'histoire) A ce moment là de l'intrigue et à travers ce mime du chef d'orchestre- sans orchestre: donc sans réalité, Octave se met à nu. Il devient l'alter ego de La Chesnay à travers la symbolique de l'élément signifiant qu'est la musique. L'un est à la tête d'une série de pantins musicaux, l'autre est à la tête d'un orchestre de fantômes. Cette analyse par le biais du traitement de la musique permet de mettre l'accent sur l'aspect illusoire qui caractérise la vie d'Octave. Nostalgie également d'une musique et d'un monde perdus: la Vienne d'avant guerre, il n'en reste qu'un mime: une caricature.
L'absence de son comme élément dramatique Cette absence de son à des moments où il devrait être présent se présente 2 fois : - Christine
voit à la longue vue le baiser échangé par la Chesnay
et Geneviève mais le SON est ABSENT elle ne peut donc pas savoir
qu'il s'agit d'un baiser d'adieu.
Dans ce monde sans amour véritable que nous raconte Renoir, dans ce monde sans illusion, la musique a encore un rôle à jouer au moment de la mort. Alors que Jurieux est atteint par la balle, la musique mécanique du pianola ( "la Danse Macabre" ) continue à se faire entendre. Cette indifférence de la musique au drame qui vient de se jouer accentue l'effet de dérision générale: personne ne se sent concerné et le marquis peut conseiller à chacun de rentrer pour ne pas prendre froid ! Le parti pris de RENOIR: " je pense qu'une partition musicale qui souligne le jeu de l'acteur implique que ces acteurs sont incapables d'interpréter leur personnage avec leur seul talent. Dans le cas où l'on ne peut se passer d'un accompagnement il est préférable de se baser sur un genre de contrepoint musical" Renoir indique clairement son choix: il refuse d'utiliser une musique qui serait un soutien émotionnel. En conséquence on voit les objets sonores: il en fait de réels acteurs et la musique n'a plus un simple rôle d'accompagnement, elle contrepointe, c'est à dire qu'elle occupe une position sans hiérarchie avec le jeu des acteurs: elle ne leur est pas subordonnée. |