Résumé du film

La musique de fosse (off)

Les musiques d'écran ( in)

La radio

Interprétation de la prégnance des musiques mécaniques

LA REGLE DU JEU

Jean RENOIR

sommaire monde sonore

menu général

Le mime remplace la véritable musique

L'absence de son comme élément dramatique

La musique comme marque de l'indifférence au drame

Conclusion

 

1939, France (copie restaurée)
Réalisateur : J.Renoir
Scénario : J.Renoir
Musiques : Désormières, Mozart, Monsigny, Chopin, Saint Saëns, Scotto, J. Strauss
Les personnages principaux :
M. Dalio : marquis de La Chesnay
N. Gregor : Christine
R. Toutain : A. Jurieux
J. Renoir : Octave
M Parely : Genevieve
J Carette : Marceau
G Modot : Schumacher
P. Dubost : Lisette


Résumé de l'histoire

André Jurieux vient de réussir un exploit aéronautique et il est accueilli triomphalement au Bourget par toute la presse et les autorités politiques. Il a accompli cet exploit pour l'amour d'une femme, Christine, qui n'est même pas là. Il se plaint d'elle au micro d'un journaliste venu le questionner sur son exploit. Octave, l'ami de tous les instants, s'occupe à la fois de la détresse de Jurieux et des questions des journalistes.
Christine est dans un riche appartement parisien avec le marquis de La Chesnay qu'elle vient d'épouser et c'est à la radio qu'elle entend avec effroi, les déclarations de Jurieux à son encontre.
Le marquis a lui-même une maîtresse : Geneviève. Il a aussi la particularité de collectionner les boîtes à musiques, automates et autres limonaires.
Jurieux, désespéré au point de vouloir mourir, provoque un accident de voiture sans gravité, et Octave qui était dans la voiture, lui promet d'arranger une rencontre avec Christine : il le fait inviter à la partie de chasse que donne le marquis dans son château de la Colinière.

Octave est un grand ami de Christine et il fut aussi celui de son père, grand chef d'orchestre autrichien décédé.
A la Colinière se retrouvent également : Lisette, femme de chambre de Christine, Schumacher, son mari qui est le garde du château. Celui- ci souhaite que Lisette quitte ses fonctions auprès de Christine pour rester vivre avec lui. Lisette n'en a nulle intention.
On rencontre aussi le braconnier, Marceau, que Schumacher considère comme son ennemi mais que le marquis trouve sympathique au point de l'engager à son service; Geneviève et différents invités sont également présents.
La partie de chasse se déroule sur un week-end en plusieurs épisodes: une battue, la partie de chasse elle-même et la fête déguisée le soir.
Lors de cette fête nocturne déguisée, le drame va se dérouler: Schumacher a surpris, dans la journée Marceau avec Lisette, Christine vêtue du manteau de Lisette donne rendez- vous à Jurieux et dans la nuit. Schumacher croit que Lisette est avec son amant, il tire et Jurieux est tué.

La conclusion appartient au marquis: c'était un accident.


 

Bonjour à toutes et tous, cinéphiles et mélomanes

Vous n'êtes peut-être pas spécialistes de notre " jargon" de musiciens et l'analyse du monde sonore de ce film de Renoir "la Règle du Jeu" a besoin de quelques explications, elle est donc précédée de ce petit glossaire.

Pianola :
C'est un instrument de musique mécanique (automatophone) dont le jeu est réglé par une bande de papier perforée jointe à un mécanisme pneumatique. La reproduction de la musique est à peu près exacte ou en tous cas, le pianola, avant l'arrivée du disque, était plutôt performant. Il nous semble à nous, auditeurs du XXIème siècle, totalement surfait dans ses sonorités.

Limonaire :
C'est un orgue de barbarie, qui porte le nom de son inventeur (1906)

Pour ce qui concerne les autres termes techniques, la rubrique le monde sonore au cinéma a pour fonction de vous éclairer.


ANALYSE DU TRAITEMENT MUSICAL DE CE FILM:

Mon interprétation est la suivante : DANS CE FILM LE SON EST SYMBOLIQUE ET IL EST OUTIL DE VERITE, VERITABLE CLE POUR COMPRENDRE , MAIS D'UNE AUTRE MANIERE.

 

La musique de fosse (off) :

Elle n'est présente que pendant le générique de début et c'est une volonté de J.Renoir alors que, dans le film, la musique (toutes "in") est extrêmement présente, elle est même au cœur du film (la fabuleuse scène dans laquelle Octave fait revivre la direction d'orchestre du père de Christine)

La musique de générique de début est une" allemande" de Mozart, ( une " allemande" est une danse) c'est par conséquent une musique de divertissement.

Renoir n'a pas choisi une musique de Mozart particulièrement réussie: elle est peu expressive, elle est loin d'être une grande oeuvre et c'est un choix de la part du réalisateur. Il a cependant choisi une musique de Mozart et ce choix mérite une explication.

Mozart est probablement le représentant le plus notoire de l'Autriche musicale, la suprématie de Vienne sur l'Europe en matière artistique et intellectuelle a été évidente jusqu'à son effondrement après la 1 ère guerre mondiale.

Le choix de cette musique n'est donc pas anodin : d'une part il s'agit d'une œuvre tout à fait mineure du grand Mozart, d'autre part, il s'agit quand même d'un rappel de l'Autriche (Christine est autrichienne). Renoir connaît la situation politique ( nous sommes en 1938 /39

Ce choix de musique mozartienne présente un autre degré d'intérêt : nous sommes dans la nostalgie d'un monde qui s'épuise et le divertissement mozartien proposé en générique est volontairement sans grande envergure musicale, nous sommes dans le jeu, et Renoir va décrire ses règles de fonctionnement.

La musique du générique de début contient donc intrinsèquement la signification du titre du film


Les musiques d'écran ( in)

Elles sont très nombreuses et c'est le seul statut que Renoir accepte d'accorder à la musique de cinéma: il ne veut pas que la musique remplace le jeu ou l'expression des acteurs, ceux ci doivent se suffire à eux-mêmes ; La position de Renoir sur le sujet est stricte et parfaitement connue : la musique doit uniquement découler de l'action.

Il y avait, par exemple, possibilité d'utiliser de la musique off pendant la partie de chasse: la seule musique l'on entende est une musique "in" d'un invité qui s'époumone dans un cor de chasse dont il ne sait pas jouer.


La radio

Les déclarations de Jurieux à la radio sont une intrusion du monde extérieur dans ce monde intimiste et en vase clos de l'appartement parisien de Christine et La Chesnay: Jurieux, sur le plan sonore ne respecte pas les règles d'un jeu qu'il ne connaît pas: il n'est pas un homme du passé, son exploit montre au contraire qu'il est un homme de l'avenir. Celui qui ne connaît pas les "règles du jeu" est celui qui sortira du jeu


Interprétation de la prégnance des musiques mécaniques

Une grande part est réservée aux musiques mécaniques des automates du marquis de La Chesnay. Les personnages des boîtes à musique tournent en rond dans leur univers, mais les personnages du film sont à leur image ( maîtres et valets confondus)

"La règle du jeu" est un monde dans lequel tout est factice, un monde dans lequel celui qui a du cœur (Jurieu) n'a pas de place et doit être supprimé. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles nous devons sans cesse entendre ces musiques grinçantes d'automates qui tournent en rond dans leur univers et leur partition préétablie, comme les personnages réels dans le leur. Seuls Schumacher et Jurieu semblent avoir des sentiments véritables : l'un sera l'assassin, l'autre la victime mais tous deux ne sont que des jouets du reste de l'assemblée.

La Chesnay nous fait donc sans cesse entendre ces musiques sorties de petites boîtes, certaines imitant des chants d'oiseaux, d'autres des musiques préexistantes, mais il y a toujours une déformation par rapport aux sons d'une réalité qui serait plus harmonieuse. Renoir semble essayer, à travers son paysage sonore, de nous faire entrer dans un monde grinçant.

Les exemples ne manquent pas:

Lorsque Marceau tente de séduire Lisette, il met en marche une poupée à musique,

Pendant la fête masquée, la pianiste réelle cède la place au pianola mécanique qui jouera tout seul "la Danse Macabre" de Saint Saëns* (dans laquelle il est impossible de ne pas voir la guerre qui s'annonce). Nous voyons l'être humain qu'est la pianiste : elle regarde les touches du piano s'activer comme si elles étaient actionnées par des doigts fantômes, mais c'est finalement elle qui est dépossédée de l'instrument, au profit du jeu de la mécanique.

*Renoir rend peut-être hommage à Saint Saëns qui a été le premier compositeur qui a accepté d'écrire pour le cinéma

 

Le mime remplace la véritable musique

Octave mime le père de Christine, le chef d'orchestre. Il dirige un orchestre absent: nous avons l'image, nous avons des paroles, des bruits, mais nous n'avons jamais le son réel de l'orchestre : il y a ici absence délibérée de véritable musique : elle est seulement racontée. Renoir a choisi de passer sous silence la réalité musicale alors qu'elle a un rôle particulièrement important puisque : c'est par elle qu'il choisit de nous parler de l'image du père ( n'oublions pas le rapport avec le grand peintre Auguste Renoir qui fut le père du cinéaste, le hasard n'intervient certainement pas dans le nom" Octave" qu'il a donné au personnage qu'il interprète lui -même: Octave et Auguste sont liés par rappel de l'histoire)

A ce moment là de l'intrigue et à travers ce mime du chef d'orchestre- sans orchestre: donc sans réalité, Octave se met à nu. Il devient l'alter ego de La Chesnay à travers la symbolique de l'élément signifiant qu'est la musique. L'un est à la tête d'une série de pantins musicaux, l'autre est à la tête d'un orchestre de fantômes. Cette analyse par le biais du traitement de la musique permet de mettre l'accent sur l'aspect illusoire qui caractérise la vie d'Octave.

Nostalgie également d'une musique et d'un monde perdus: la Vienne d'avant guerre, il n'en reste qu'un mime: une caricature.

 

L'absence de son comme élément dramatique

Cette absence de son à des moments où il devrait être présent se présente 2 fois :

- Christine voit à la longue vue le baiser échangé par la Chesnay et Geneviève mais le SON est ABSENT elle ne peut donc pas savoir qu'il s'agit d'un baiser d'adieu.
-
Au moment du drame final, la voix de Christine est inaudible, à cause du capuchon du manteau de Lisette. Cette absence de son va engendrer le 2ème quiproquo: Schumacher ne peut se fier qu'à ce qu'il voit et non à la voix qu'il pourrait reconnaître et il tue Jurieu en le prenant pour l'amant de Lisette.


La musique comme marque de l'indifférence au drame

Dans ce monde sans amour véritable que nous raconte Renoir, dans ce monde sans illusion, la musique a encore un rôle à jouer au moment de la mort. Alors que Jurieux est atteint par la balle, la musique mécanique du pianola ( "la Danse Macabre" ) continue à se faire entendre. Cette indifférence de la musique au drame qui vient de se jouer accentue l'effet de dérision générale: personne ne se sent concerné et le marquis peut conseiller à chacun de rentrer pour ne pas prendre froid !


En conclusion

Le parti pris de RENOIR:

" je pense qu'une partition musicale qui souligne le jeu de l'acteur implique que ces acteurs sont incapables d'interpréter leur personnage avec leur seul talent. Dans le cas où l'on ne peut se passer d'un accompagnement il est préférable de se baser sur un genre de contrepoint musical"

Renoir indique clairement son choix: il refuse d'utiliser une musique qui serait un soutien émotionnel. En conséquence on voit les objets sonores: il en fait de réels acteurs et la musique n'a plus un simple rôle d'accompagnement, elle contrepointe, c'est à dire qu'elle occupe une position sans hiérarchie avec le jeu des acteurs: elle ne leur est pas subordonnée.

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